La présence de la ligne de démarcation contraint la population à s’adapter aux circonstances du moment ; elle entraîne également l’émergence de comportements clandestins de contournement et de transgression de l’ordre établi par la puissance occupante.
Ces attitudes sont notamment motivées par le souhait de rendre service, le rejet de l’arbitraire, le patriotisme ou l’appât du gain.
Des systèmes de passages clandestins de courriers et d’hommes se constituent dès l’été 1940 ; ceux que l’on désigne sous le nom de passeurs, qu’ils soient occasionnels ou réguliers, désintéressés, trafiquants ou résistants, deviennent des acteurs majeurs de la ligne de démarcation. Leurs services sont particulièrement recherchés car ils assurent la liaison entre les deux zones dont ils constituent la charnière. Les réseaux de Résistance s’appuient également sur des passeurs pour faire transiter leurs informations et leurs hommes entre les deux zones ou vers Londres.
Dès le début de l’été 1940, un flux continu de personnes se présente, essentiellement du nord vers le sud, pour franchir la ligne de démarcation car elle représente un espoir pour tous ceux pour qui se sentent en danger en zone occupée. C’est le cas des prisonniers de guerre évadés, des soldats anglais bloqués en France après la défaite de juin 1940, des pilotes alliés dont l’avion a été abattu lors d’une mission en Europe, des Juifs traqués et persécutés par l’occupant et le régime de Vichy et des dissidents qui désirent poursuivre le combat contre l’Allemagne nazie en rejoignant l’Angleterre par l’Espagne.
La méthode la plus courante pour franchir la ligne de démarcation consiste à passer, de jour ou de nuit, quand les patrouilles allemandes sont ailleurs. Les subterfuges sont nombreux pour tromper l’occupant. Certains se font passer pour des cultivateurs locaux avec les vêtements appropriés, mais un sifflement, une attitude, un geste ou une activité particulière comme étendre un drap au bon moment constituent autant de signes à interpréter.
Une pratique également employée est d’inviter les soldats ou les douaniers en leur offrant un verre, voire une bouteille d’eau de vie locale qu’ils affectionnent particulièrement. C’est un moyen d’acheter leur silence ou de faire diversion comme le fait Monceyron, un cultivateur et ancien meunier pour faire passer la ligne de démarcation en ces lieux, le moulin du Chapt, situé à cheval sur les deux zones et sur la Sauvanie, tout près du poste de contrôle allemand de la Tannerie.

Témoignage de Claude Duverger, « Coco », sur Monceyron, passeur de la ligne de démarcation au Moulin du Chapt
« Le père Monceyron, un cultivateur ancien meunier, faisait passer la ligne gratuitement. Il faut le dire car il y en a qui ont gagné de l’argent. La particularité du moulin, c’était que les Monceyron mangeaient en zone occupée et couchait en zone libre ! Un jour où j’allais chercher du beurre à Nanteuil, on m’a demandé si je pouvais voir avec Monceyron pour faire passer quelqu’un en zone libre. J’en ai parlé à Monceyron, Il a un peu tiqué mais il m’a dit : « qu’il vienne à 10 heures et je le ferai passer ! » C’était en hiver. On ne suivait pas la route ; on passait dans les chemins. Arrivés au Moulin du Chat, je suis allé le voir seul. Il était en train de faire l’huile de noix et me dit : « Ne vient pas avec le gars, il y a deux Allemands ! » En effet, ils aimaient bien venir boire un coup chez lui. Il me dit : « Attends quelques minutes je vais les chercher ! » Il les a amenés dans la cuisine, leur a offert à boire et aussitôt qu’ils ont été installés il m’a fait signe et je suis passé avec le gars de l’autre côté, il m’a donné une pièce de 5 Francs en argent ! Ce vieux Monceyron il n’est pas mort millionnaire, tous les gens qu’il a fait passer il ne leur a jamais rien demandé !»
La ligne de démarcation : une véritable frontière intérieure
L’article 2 de la convention d’armistice signée le 22 juin impose la partition du territoire national par la création d’une ligne de démarcation, ou Demarkationslinie pour les Allemands. Un des objectifs de cette frontière intérieure est de constituer un moyen de pression permanent sur les autorités françaises.
La ligne de démarcation traverse treize départementssur près de 1 200 kilomètres et s’étend de la Suisse à l’Espagne. Elle sépare la zone nord et la côte atlantique, occupée par l’Allemagne nazie, de la zone sud, ou non occupée, qui est sous l’autorité du Régime de Vichy.
La Dordogne est traversée par la ligne de démarcation. Depuis la Charente, elle rejoint La Rochebeaucourt puis longe approximativement la route départementales 709 avant d’obliquer à un kilomètre à l’ouest du bourg de Verteillac, au lieu-dit la Tannerie, sur la Sauvanie (elle passait initialement au milieu du village avant d’être déplacée). Elle passe ensuite à l’ouest de Ribérac, traverse la forêt de la Double jusqu’à Montpon puis rejoint Castillon, en Gironde.
46 communes du département, soit près de dix pour cent de la superficie de la Dordogne, et 20 000 habitants se situent en zone occupée dès le début du mois de juillet 1940. Celles-ci sont rattachées administrativement aux départements de la Gironde ou de la Charente. Tel est le cas pour 11 des 17 communes faisant partie du canton de Verteillac.
La ligne de démarcation présente tous les aspects d’une véritable frontière. Des guérites et des chicanes sont implantées aux 11 points de passage du département où flottent des drapeaux nazis. Des poteaux et des piquets sont plantés dans les prés pour délimiter les deux zones et des arbres sont coupés pour barrer les routes et les chemins.
Des panneaux, rédigés en allemand et en français, sont placés le long du tracé de la ligne de démarcation. Ils interdisent formellement son franchissement en dehors des lieux autorisés sous peine de mort. La ligne de démarcation fait également l’objet d’une étroite surveillance par des patrouilles régulières d’hommes à pied ou à vélo. Les soldats, remplacés par des douaniers à partir du mois de février 1941, n’hésitent pas à ouvrir le feu sur les contrevenants.
La seule possibilité « légale » de passer d’une zone à l’autre est de présenter un Ausweis (laissez-passer) délivré par l’occupant mais ils sont difficiles à obtenir.
La création de la ligne de démarcation bouleverse profondément la vie quotidienne des habitants. Des hameaux, voire parfois des maisons, sont coupés en deux. Des familles et des amis se retrouvent dans l’impossibilité de se rencontrer.
Témoignage de Maxime Puygauthier, de Verteillac : « Nous étions à labourer dans le champ, mon père et moi, quand les Allemands sont venus nous ordonner de couper des ormeaux pour barrer chemins et routes secondaires ».
Réalisé par Dayries SAS